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Tendances

La mode est-elle une forme d'art?

30 mai 2019


Cette question ne cesse d’être débattue. Ces deux formes d’expression culturelle remontent à la Renaissance. À cette époque, de grands peintres tels que Jacopo Bellini, Antonio Pisanello et Antonio del Pollaiuolo imaginaient des vêtements aux broderies et aux motifs originaux et les illustraient sur leurs toiles. Ces designs étaient ensuite copiés et confectionnés afin de créer de véritables vêtements. L’art prenait vie!

 

Au tournant du 20e siècle, la mode et l’art étaient devenus quasi indissociables. Les artistes se réjouissaient à l’idée de travailler dans le domaine du textile ou de la peinture. Aucune différence! Un couturier de renom tel que Paul Poiret vagabondait aisément entre les différents milieux artistiques, y trouvant souvent des collaborateurs. Il collectionnait l’art impressionniste, fréquentait le peintre fauviste Francis Picabia et admirait Picasso et Matisse. En effet, Poiret se considérait comme un artiste. « J’ai toujours aimé les peintres. Il me semble que nous travaillons dans le même domaine et que ce sont mes collègues », aurait-il déclaré. Poiret faisait d’ailleurs partie de la Société des Artistes Décorateurs, fondée en 1901 pour l’exposition et la promotion de l’art moderne français.

Vers la fin du 19e siècle, les designers de mode puisaient leur inspiration dans l’Art nouveau ainsi que dans le mouvement de la Sécession de Vienne. Du premier découlèrent les iconiques silhouettes en S aux corsets extraordinairement ajustés ; du second, la création de designs textiles à l’esthétique abstraite. Au cours 20e siècle, cependant, les tendances refléteraient plutôt l’évolution de l’art moderne. Avant la Première Guerre mondiale, on retrouvait les traits du modernisme à travers les populaires robes sans corset, tubulaires et aux formes élémentaires. Au fil des années 20, cette silhouette est demeurée en vogue, puis s’est transformée et est devenue plus moulante au cours des années 30.

Un homme a grandement contribué à démystifier le processus de création artistique et à le ramener au même niveau que sa cousine plus frivole, la mode. De qui s’agit-il? D’Andy Warhol, bien sûr! Au milieu du 20e siècle, son travail tissa des liens d’autant plus étroits entre la mode et l’art. Ironiquement, il a jadis déclaré: « Pourquoi les gens s’imaginent-ils que les artistes sont si spéciaux? C'est un travail comme un autre. » En 2009, le Grand Palais de Paris était sur le point d’ouvrir une exposition regroupant les nombreux portraits réalisés par Andy Warhol. Le conservateur fut alors confronté par Pierre Bergé, associé d’Yves Saint Laurent. Bergé était outré par sa décision d’exposer le portrait de Saint Laurent parmi ceux des autres créateurs de mode ; il tenait absolument à ce que le portrait de Saint Laurent soit à sa place, parmi les artistes!

 

La perception plutôt banale selon laquelle l'art est supérieur à la mode dans l'échelle de la hiérarchie culturelle est, malgré les liens qui unissent les deux, une perception bien commune. La mode, comparée à l'art, est inconstante, banale et plutôt suspecte. Au cours de l'histoire, la mode a été invariablement considérée comme un outil de promotion et de renforcement du statut social. Malgré le patronage de plusieurs artistes, on a accusé la mode de nombreux crimes contre l'humanité. On ne lui a guère accordé d'importance culturelle, à part comme signe distinct de consommation, d'avidité, de snobisme, de désir et de gaspillage. Alors qu'on a considéré le développement des beaux-arts, de la musique ou de la littérature comme une recherche de vérité et de beauté, les fluctuations incessantes de la tenue vestimentaire ont été réduites à une simple manière de convaincre les masses d'acheter, d'acheter et d'acheter encore.

Néanmoins, le glamour et le style détiennent une force d'attraction universelle. La mode est entrée au sein de la culture populaire de façon fort remarquable. Malgré l'objection de ses critiques, elle a envahi les musées, les foires d'art internationales et le petit écran. Les mannequins sont devenus de véritables icônes des temps modernes. Les actrices et chanteuses posent volontiers devant la caméra afin de garder leur nom dans les journaux. Malgré l'essor fulgurant de la mode au sein de la culture populaire, cette vieille hiérarchie semble rester fermement en place. Les designers de mode continuent à être «inspirés» par l'art. Ils font usage des références obscures à des artistes méconnus et oubliés depuis si longtemps qu'il est difficile de se défaire du sentiment qu'il s'agit d'un outil pour dissimuler un complexe d'infériorité.

Elsa Schiaparelli s'est autrefois appuyée sur Picasso et Braque. Emilio Pucci s'est inspiré du Op Art. Et des designers de mode de tous genres ont continué à suivre ce chemin maintes fois emprunté et éprouvé. En 1965, Yves Saint Laurent a fait la couverture du numéro de septembre du Vogue français avec sa robe Mondrian. Son succès s'est manifesté par les innombrables copies bon marché qui ont suivi. Au début des années 2000, Louis Vuitton a collaboré avec l'artiste contemporain Takashi Murakami. Ce mariage entre l'art et le commerce a conduit à la vente d'un nombre fracassant de sacs Louis Vuitton. Cette collaboration dura treize ans, et a amené la griffe française à répéter l'expérience avec divers artistes de renom—plus récemment Jeff Koons, en 2017.

Ces collaborations, hautement bénéfiques pour les deux partis, sont devenues si courantes qu'elles ne surprennent plus. On ne s'arrête pas pour réfléchir aux différents mouvements artistiques qui continuent à être utilisés comme source d'inspiration par les créateurs de mode. D'autre part, les artistes ont été plus hésitants à citer la mode comme source de motivation ou d'inspiration. Certains designers, tels que Cheryl Donegan, Atelier E.B., et Pia Camil, créent des vêtements et les présentent comme des œuvres d'art. D'autres, tels que BLESS, Bernadette Corporation et Susan Cianciolo, oscillent avec finesse entre art et mode. Et d'autres, tels que Eckhaus Latta et Slow and Steady Wins the Race, travaillent au sein de l'industrie de la mode, mais créent également des projets au sein d'institutions artistiques.

Alors, la mode est-elle une forme d'art? Ne devrions-nous pas plutôt nous questionner sur la pertinence de ce débat? Aujourd'hui, nous savons tous que la mode peut partager certaines caractéristiques avec les beaux-arts, être exposée dans les musées, ou encore refléter l'évolution de la culture contemporaine. De même, nous savons que les beaux-arts sont devenus une industrie d'envergure.

Autrement dit, la mode n’est peut-être pas de l’art. Mais l’art lui-même est-il encore de l’art? Lorsque des entreprises de luxe telles que LVMH et Kering investissent davantage dans l’art contemporain que dans le développement de leur propre discipline—que ce soit par le biais de fondations dédiées à la mode ou du développement du milieu académique—il est difficile de se débarrasser de l’idée que cet ordre social demeure inévitable.

Anja Aronowsky Cronberg a fondé Vestoj en 2009, une plateforme dédiée à la pensée critique sur le monde de la mode. Aujourd'hui, elle vit à Paris d'où elle édite le journal académique annuel Vestoj, alimente le site web Vestoj et anime les Salons Vestoj en direct. Elle continue de produire sa plateforme originale sous le parrainage partiel du London College of Fashion, institution avec laquelle elle collabore à des travaux sur la théorie et la pratique de la mode comme membre de recherche senior.