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Une entrevue avec Marit Ilison

20 jui 2020

Les robes et les pièces colorées créées par la designer estonienne nous font rêver à chacune de ses collections. Cette saison, son travail prend une dimension historique avec une nouvelle capsule dont les imprimés s’inspirent du passé avec créativité. Rencontre avec une artiste inspirante.

D’abord, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le contexte de cette collection?

En général, quand je crée quelque chose comme artiste ou designer, je suis d’abord intéressée par la relation entre le corps et l’espace. Chaque jour quand je me réveille, je me questionne sur le monde dans lequel on vit et les systèmes à la base de nos sociétés. Tout le monde est si pressé et stressé, n’y aurait-il pas d’autres options, d’autres possibilités? Je crois qu’il est important d’utiliser notre passage dans cette vie pour nourrir nos âmes de moments heureux et nos corps, d’expériences positives. Pour moi, les vêtements font partie d’une expérience physique positive.

Les vêtements sont la première chose qui nous entoure. Quand je conçois un vêtement, je ne pense pas à ce dont sa surface aura l’air. Je crée plutôt d’abord la forme et je me permets d’être inspirée par l’émotion que cela suscite en moi. Par exemple, quand vous utilisez de la soie pour la doublure d’une poche, cela n’est pas visible de l’extérieur, mais chaque fois que vous la touchez, vous expérimentez une sensation physique agréable.
 

Vous semblez avoir une approche très sculpturale de la fabrication d'un vêtement.

En effet, j'aime travailler une idée et créer le patron en trois dimensions, mais mon but n'est pas seulement d'assembler de simples formes. Je veux plutôt les infuser de sens, de signification. C'est l'idée derrière l'inspiration qui élève le vêtement de simple couverture pour le corps à quelque chose de plus grand. Il devient alors une histoire importante dont celui ou celle qui le porte est partie prenante.

Je suis aussi intéressée par notre relation avec la Terre. Nos possessions matérielles sont éphémères, nous pouvons tout perdre, mais nos souvenirs et notre capacité de ressentir les choses, eux, ne nous quitteront jamais. Une partie de mon processus créatif est de faciliter l'émotion et de créer une impression qui demeurera et à laquelle on pourra se rattacher. Construire un pont vers un moment dans le temps, une expérience du passé.

Comment avez-vous eu l’idée de cette collection capsule?

Plusieurs de mes projets sont très nostalgiques. Le point de départ est souvent mon enfance. J’utilise mon travail comme prétexte pour y replonger et explorer. Ici, tout a commencé par un souvenir. Vers 1986-1987, j’étais dans un champ avec ma grand-mère. Elle conduisait sa propre râteleuse, une structure métallique tirée par un cheval qui était utilisée pour l’agriculture à l’époque. Je prenais place sur ses genoux. Aujourd’hui, ce serait considéré comme vraiment risqué de tenir un jeune enfant tout en opérant de la machinerie. Ça a quelque chose de très romantique pour moi, cette idée que les enfants n’étaient alors pas « surprotégés » de la vie quotidienne. Le travail se devait d’être fait, donc ils étaient souvent là, au milieu de tout ça.

Une chose dont je me rappelle très bien, c'est que quand elle travaillait, elle portait une robe sarrau ample en coton, un vêtement typique de l’ère de l’Union soviétique. Comme j’étais assise sur ses genoux, elle la replaçait constamment pour éviter qu’elle ne s’ouvre, ce pour quoi je m’en souviens si clairement.

C’était tellement bon d’être là, de vivre ce moment. Ces robes soviétiques étaient quelque chose de très commun, la plupart des femmes devaient les porter, même si elles ne les appréciaient pas particulièrement à l’époque. Les pièces étaient produites en grande quantité, donc tout le monde avait la même.

Elles étaient fabriquées à l’usine de textiles de Kreenholm. C’était la plus grande en Europe avant la Première Guerre mondiale, celle qui servait l’Empire russe. Elle était située dans la ville de Narva, les bâtiments étaient magnifiques. Le gouvernement estonien l’a vendu à un compétiteur et celui-ci l’a abandonné, malheureusement. Les familles de cette ville qui travaillaient à l’usine ont perdu leur emploi et ont même dû démolir leurs propres postes de travail.

J’essaye de trouver du beau même dans les moments plus sombres de l’histoire. J’aime aussi l’idée qu’un vêtement de travail puisse être une robe florale plutôt qu’un complet minimaliste. En ce moment tout particulièrement, je crois que notre monde a besoin de plus de force et d’énergie féminines et dans une plus grande mesure. Cela représente la source de la vie.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Estonie et plus particulièrement Tallinn?

D’abord, nous ne sommes pas seulement « un pays à côté de la Russie ». Je suis très fière de notre pays et des endroits que nous avons maintenant, des espaces modernes et significatifs. Il y a cet endroit dont j'ai fait le design dans le port que je trouve très inspirant. L’évolution de Tallinn est impressionnante, c’est au-delà de ce que vous pouvez imaginer, c’est une des villes les plus cool d’Europe et même du monde. On y trouve la parfaite combinaison de haute technologie et de nature. Ça a été un honneur pour moi de voir mon travail au musée Kumu aux côtés d’œuvres originales, c’est sûrement l’une des plus belles reconnaissances possible en Estonie pour une artiste.

Comment vous êtes-vous procuré le tissu pour l'exposition « 77 Chintzes » (77 Robes) et pour cette capsule?

On m'a donné accès aux archives de la défunte usine Kreenholm. Je me suis rendue sur place en compagnie d'une éminente historienne qui est aussi la conservatrice du musée Kumu. Celle-ci est une femme plus âgée, mais très intéressée par l'art contemporain. Je suis la première personne à travailler avec ces archives dans un contexte moderne. Passer à travers tous les tissus conservés a été un processus assez long et laborieux. La plupart des palettes de couleurs étaient très simples et atténuées à l'époque parce que l'usine pouvait seulement utiliser quatre teintes et il leur fallait un permis spécial pour acheter de la teinture de la Grande-Bretagne.

Peu importe comment le matériel d’origine m’inspire au départ, j’essaye toujours de travailler avec assez longtemps pour y trouver un angle positif. Quand j’ai commencé avec les archives, j’aurais pu emprunter différentes voies pour en arriver à la sélection finale. J’ai choisi de laisser de côté les textiles dont les imprimés pouvaient être perçus comme plus contemporains, comme des motifs qu’on aurait très bien pu porter de nos jours. Numériser les échantillons de tissus pour les imprimer sur de plus grands rouleaux et créer la collection ajoutait aussi une couche au processus créatif. À la fin, on ne peut plus vraiment dire lequel était l’original et lequel est la version numérisée. C’est intéressant de brouiller la ligne entre le passé et le présent.

J’ai ensuite été invitée par la personne responsable des expositions art et mode au Kumu et j’ai rapidement su ce que je voulais faire puisque j’avais déjà travaillé avec des robes sarraus de coton pour un projet antérieur. J’ai fini par sélectionner 92 motifs. Le projet final, lui, compte 77 robes, ce qui signifie que certaines pièces comprennent donc plus d'un motif. On ne peut pas vraiment résister à la beauté. Et même si historiquement, ce vêtement était produit en grande quantité et que les gens ne lui accordaient pas beaucoup d’importance, le tissu, lui, le rendait spécial et unique.

La coupe de la pièce originale de l’installation en est une que j’avais développée auparavant. Elle est tirée d’un livre de 1964 appelé Workwear Pattern Book. J’y ai choisi un patron de robe et je l’ai modernisé. La raison pour laquelle je souhaitais utiliser un authentique patron de cette époque, c’était de pouvoir expérimenter avec l’ampleur et l’espace qu’il créait autour du corps. La façon dont l’installation se transpose dans la capsule est à travers les tissus et la coupe de la robe que vous pouvez porter avec votre ceinture préférée. Pour chaque robe, il y a une étiquette qui indique où l’imprimé a été fait. Si les gens désirent en savoir plus, je les encourage à faire des recherches sur l’histoire de l’Estonie, c’est très intéressant.

Je suis vraiment contente que cette collection soit offerte chez Simons de façon exclusive au Canada. Cela signifie beaucoup pour moi, que ce travail soit maintenant révélé à un plus grand public.

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