Michelle, après avoir analysé dans les grandes lignes votre parcours, il semblerait que ce n’était qu'une question de temps avant que vous vous attaquiez aux œuvres de Claude Cahun et de Marcel Moore. Quel a été le déclic pour la mise en place de cette exposition?
Effectivement, cela fait plus de 10 ans que je réfléchis aux cas de Claude Cahun et de Marcel Moore. L’ensemble de leur travail, dont les premières épreuves souffleront bientôt leur centième bougie, est imprégné par les questions de genre, un sujet d’apparence très contemporain. La compréhension du genre comme une performance, ou encore de la féminité et de la masculinité comme constructions sociales et non comme des attributs biologiques immuables, semble être une idée relativement nouvelle. Et pourtant, Claude Cahun et Marcel Moore nous prouvent le contraire. Prenons cette épreuve datant de 1921-1922, mettant en scène Cahun en complet, tête rasée.
En une image, elle renverse les idées traditionnelles de féminité établies de son temps (la fameuse “garçonne” aux genoux dévoilés et fortement maquillée). À la place, elle adopte la silhouette du dandy, figure emblématique du 19e siècle, reconnu pour son dévouement à l’élégance vestimentaire et à l'apparence physique… au masculin. Pensez Oscar Wilde! Ce qui rend les photographies de Claude Cahun décontenançantes, ce sont toutes les interrogations qu'elles soulèvent sur son genre : qui se cache derrière cette apparence de dandy? Un homme? Une femme? Les deux ou bien aucun? La question la plus intéressante restant : à quel point avons-nous besoin de mettre un genre sur cette personne? Cette fluidité est largement abordée dans l’art contemporain, mais aussi dans le milieu culturel. Je pense ici au drag ou à la mode. L’envie de créer un dialogue intergénérationnel autour de cette question qui a été le fameux déclic.
Pouvez-vous nous expliquer plus en détail ce que
« Face à Claude Cahun et Marcel Moore » représente?
Avant toute chose, c'est un échange entre un groupe d'artistes concernés par les questions de genre, d’identité et d’appartenance. C’est aussi, je crois, la toute première exposition à créditer autant Claude Cahun que Marcel Moore pour les célèbres photographies mettant en scène Cahun. Ses présumés autoportraits suscitent encore leurs lots de débats dans le milieu de l’art, à savoir s'il s’agit du travail d’une seule personne ou non. À mes yeux, il est clair que Marcel Moore avait un rôle central non seulement dans la vie de Cahun, mais aussi dans sa démarche artistique. Elle s’est imposée davantage dans les arts visuels et fût créditée pour toutes les illustrations accompagnant les publications de sa compagne. Il est clair qu’à plusieurs reprises, c'était Marcel Moore qui se trouvait derrière l’appareil. Cette exposition peut également être vue comme un dialogue entre les médiums de Claude Cahun, de Marcel Moore et des artistes d’aujourd'hui : photographie, cinéma, performance ou encore installations artistiques. Je pense que les visiteurs de l’exposition apprécient tout particulièrement cette conversation pluridisciplinaire entre nos protagonistes et nos artistes contemporains. Tous et toutes étaient familiers avec les épreuves de Claude Cahun et ont réussi à explorer à leurs manières les idées de genre et d’identité. Il y a aussi des connexions non négligeables entre les travaux sélectionnés, des approches et des thèmes communs qui émergent et qui méritent qu’on s’y intéresse.